Entretien avec l’humoriste Shirley Souagnon : « Il ne faut surtout pas avoir peur de faire »

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Article mis à jour le 7 mai 2020 par La rédaction

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A 29 ans, l’humoriste Shirley Souagnon n’est plus à présenter. Festival de Montreux, Juste pour Rire à Montréal, Jamel Comedy Club, Engrenages, etc. La franco-ivoirienne native de Clichy ne chôme pas. Entretien en toute spontanéité en direct du Sentier des Halles à Paris où elle rode son troisième spectacle.

D’où vous vient cette envie de monter sur scène ?

J’ai toujours écrit depuis que je sais écrire. Des poèmes et des chansons quand j’étais gamine avec mon petit cahier. J’ai très vite écrit des sketchs. D’une enfant de six ans bien sûr. Je forçais mon cousin à jouer. On jouait ça devant ma famille chez ma tante le week-end. Je ne sais pas pourquoi j’aimais faire rire. Puis à 8 ans, j’ai un oncle comédien qui m’a proposé de faire un casting. J’ai commencé à faire des téléfilm, j’aimais la comédie, les caméras, les décors des studio. Je me suis retrouvé dans la série Navarro. Et puis cela a révélé ma curiosité créatrice. J’ai fait une publicité pour l’Euro 96, et joué dans un flim avec Michel Aumont. Je faisais du basket à l’époque. J’avais envie de devenir professionnel. Puis dix ans après, c’est revenu comme un truc inconscient, c’est là que je me suis mis au théâtre. J’avais 18 ans.

Et le basket dans tout cela alors ?

Je n’avais pas un niveau de fou, je n’étais pas dans un club de haut niveau mais je jouais beaucoup dehors. Je suis partie à l’âge de 17 ans pour un stage à Houston aux Etats-Unis avec un ami de la famille qui était en NBA à l’époque. Il avait une association où il a fait rencontrer des basketteurs français semi-pro avec des Américains pour faire des tournois. Des gens m’ont repéré. J’ai été accepté à l’université mais j’ai finalement décidé de revenir en France pour me mettre au théâtre.

Quels chemins avez-vous emprunté pour enfin arriver sur scène ?

J’ai pas mal d’artistes dans ma famille. J’allais souvent les voir au théâtre. A 18 ans, je suis entrée dans la troupe du Théâtre 13 pendant deux ans, pour apprendre les bases avec notamment Marie de Bailliencourt qui est passée par La Cartoucherie. Il y avait beaucoup de gens du Conservatoire. Le côté pédant et ce sérieux, je ne comprenais pas. On peut être cultivé sans se la raconter. Certains élèves ne partageaient pas grand chose. Je viens du basket, j’avais besoin que la balle tourne. Mais bon, j’ai finalement fini seule sur scène.

Parlez-nous de votre première scène…

J’étais allé voir une scène ouverte présentée par Hamed Delo. Il y avait beaucoup de noirs qui faisaient des sketch avec des accents. Et j’ai fait un premier sketch avec une pseudo candidate ivoirienne aux élections présidentielles. En fait c’est la première et dernière fois que j’ai fait un sketch avec un accent car c’est super raciste. Quand tu fais ce métier, t’as l’impression d’être Jeanne d’Arc. T’as des voix dans ta tête et tu te sens obligé de le faire. T’es un peu habité. Parfois tu dors, il y a des messages qui t’arrivent. Quand j’ai commencé, j’étais dans une folie, dans une inconscience qui était chouette. Au fur et à mesure, le trac commence à arriver et tu fais vraiment le métier.

Voici dix ans que vous parcourez les scènes, les plateaux télé, les tournages… Que retenez-vous en particulier ?

Tout ! Ce que j’ai fait m’a permis de comprendre plein de choses et de continuer à avancer. J’ai eu des désillusions à la télé car j’ai vu beaucoup de gens cultiver leur égo en permanence. Au départ j’avais un blocage total avec ce milieu car je pensais que nous étions là pour divertir les gens alors qu’ils sont là pour se divertir eux. Maintenant j’accepte. On dirait qu’il y a de l’aigreur mais pas du tout. L’être humain est emprunt à être dans l’égo et ce milieu-là le révèle encore plus. Si tu ne gères pas bien ça, tu peux vite perdre ton âme profondément. On change, forcément. Quand tu as ton premier chèque bien payé et que l’on te félicite pour ça, comment veux tu changer. C’est un piège à con. Quand tu fais de la scène, on vient te chercher pour faire de la télé. Tu peux l’oublier. Car chroniqueuse c’est un autre métier, mais ce n’est pas mon travail. A la télé, on te demande rarement ton avis. Ils ont eu beaucoup de mal avec moi.

Quel est votre actualité ?

Je prépare mon troisième spectacle. Le premier s’appelait « Sketch Up ». Le second, c’était « Free ». Il vient de se finir. J’ai tourné avec des musiciens. On l’a fini en décembre dernier à La Cigale à Paris. Il va sortir en dvd et sera diffusé sur France Ô. Pour le troisième, je repars seule en stand up pur. Je parle de plein de sujets. Notamment de psychothérapie où je parle de ce que j’ai vécu car moi-même je suis allé voir une psy pour lui demander si j’étais normale de ne pas aimer la télé. Elle m’a dit que c’était normal. Parfois mon boulanger me fait la gueule car il ne me voit plus à la télé. Toute l’importance qu’on donne à ce truc carré, c’est très dangereux. On a commencé le 31 mars au Sentier des Halles à Paris. Puis on va faire du rodage en tournée avec plus de 60 dates. Sur mon site participatif, les gens peuvent même choisir la ville, le prix, la première partie locale. C’est un super concept. Cela permet de connaître son public, d’anticiper si la salle est pleine. C’est comme un jeu, mais très sérieux car je suis producteur de mon spectacle.

Comment écrivez-vous ? Le jour, la nuit, chez vous, dans les bars ?

C’est souvent la nuit quand tout le monde dort. C’est calme. L’énergie est cool. J’ai plein de façons d’écrire. Avant j’écrivais vraiment tout. Maintenant je sais ce que je veux et comment le raconter. Les bonnes blagues et bonnes histoires, je les ai. Donc je n’ai pas besoin de tout écrire. Quand j’étais aux urgences de Gare du Nord, j’y étais et donc je sais comment je veux le raconter. Je n’ai pas besoin d’apprendre tout par coeur. Cela ne marche pas dans le stand up. C’est une discipline à part entière que les gens connaissent peu.

Justement, quelle est votre définition du Stand Up ?

Il y a la prise en compte du public et le public prend en compte le naturel. En vérité, ce qui fait marrer un public c’est la sincérité que tu vas à avoir à l’instant T. C’est un truc invisible. A chaque fois que je loupe une vanne, c’est quand je l’ai récité. C’est que je ne l’ai pas raconté vraiment, que le coeur n’y est pas. Et les gens le sentent. Donc j’ai des mots clés de ce que je veux raconter. Par exemple, sur le thème des SDF, je traite ce sujet car j’en connais beaucoup. Ils viennent souvent me parler, je fais beaucoup de rencontres. Peut-être que je leur ressemble. J’ai un truc avec eux, car je crois que je suis une pauvre de coeur. Même quand j’ai eu beaucoup d’argent dans ma vie, j’ai toujours acheté discount. Ce n’est pas un truc de radin, mais vraiment un truc de pauvre. Je prends souvent le temps de discuter avec eux, car je trouve que les gens les plus pauvres sont les gens les plus riches. Au final, j’ai voulu aller plus loin et j’ai eu envie de parler de leur situation. Donc pour mes sujets, je m’inspire de ce que je vois mais parfois je vais chercher plus loin, je me documente, c’est important. Par contre l’actu en général, ce n’est pas mon délire.

Revenons au basket. Vous êtes marraine de la Ligue féminine. Quel rôle y jouez-vous ?

Je l’ai été. Il ne se passe rien, on ne va pas se mentir. Quel rôle ? C’est une bonne question. J’étais marraine. J’ai été boire du champagne et lancé des balles. J’ai proposé deux soirées « joke and dunk » qui a bien marché à l’Alhambra. On a monté un terrain de basket sur scène avec des humoristes en maillot de basket. Chacun devait marquer un panier pendant le show.

Avez-vous envie de mêler à nouveau humour et basket ?

Le basket de rue je connais. C’est la même mentalité que le stand up. Il y aurait une logique. Pourquoi pas organiser des choses plus tard. J’ai récemment fait une opération où j’ai fait gagner des places en organisant une petite compétition de basket que l’on peut voir sur Youtube.

Vous êtes Noire et ouvertement lesbienne. Avez-vous subi des discriminations au cours de votre vie ? 

Je ne pense pas que j’ai subi des discriminations. Je ne les ai pas vues. Je n’ai pas voulu les voir pour certaines, car sinon tu deviens vraiment parano. Je pense qu’il y a des choses qui se sont passées. C’est un racisme global. Ce n’est pas forcément sur ma personne. Je n’ai rien subi de front. Car je pense que je m’en fous de ce qu’on pense de moi. Les gens le sentent et ne s’acharnent pas.

Quel est votre regard sur notre société ?

J’aimerais bien trouver des choses positives à dire car je pense qu’il y en a. Car répéter des choses négatives, ça finit par nous énerver. Le fait qu’on soit là à en discuter pour un support qui parle de femmes noires, je trouve que c’est positif. Notre génération, les Noirs nés en France, qui ont grandi en France, nous n’avons pas la même culpabilité que nos parents. Le sentiment de rejet est moins fort. On est en train de créer nos propres convictions, nos propres amours. Cela avance. C’est lent mais ça avance. J’ai lancé Afrocast sur internet. Il y a eu 350 inscriptions en même pas un mois. Des comédiens, des auteurs, des réalisateurs, des directeurs de casting. Il se passe des choses. Ce qui est positif actuellement, c’est que les gens commencent à comprendre qu’on ne peut pas avancer tout seul. Il y a un vrai élan de soutien et de rapprochement, et on fait tomber les barrières. Les gens ont peur d’échanger de manière générale. Et nous, en tant que noirs, on n’a pas le choix. Je communique beaucoup avec les frères et soeurs pour continuer à avancer et sensibiliser.

En effet, vous avez créé cette plateforme Afrocast. En quoi cela consiste ?

Cela faisait un moment que j’en avais l’idée. J’avais vraiment envie de créer une dynamique dans le côté collectif des choses. Il y a quatre ans, j’étais en Côte d’Ivoire. En me baladant dans les rues, en regardant la télé, je voyais des noirs partout, et ça m’a fait du bien. Je me suis dit que cela signifiait qu’il y avait un manque. Quand je suis rentré en France, il y avait beaucoup de blancs partout. Il y a beaucoup de gens qui font ce métier mais qui ne bossent pas assez. J’ai compris en tant que productrice que c’est le fait d’avoir de l’argent ou pas. Il faut investir soi-même. J’ai monté ma production il y a deux ans. Tout le monde m’a dit que je n’y arriverai pas. Et au final je le fais. Il ne faut surtout pas avoir peur de faire. Il faut être dans le ici et maintenant, sans se projeter. Pour se rendre compte que les peurs sont liées aux projections dans le futur.

Quel est l’objectif majeur d’Afrocast ?

Pour l’instant c’est un projet. Pouvoir mettre en relation des comédiens avec des directeurs de casting, des producteurs avec des auteurs et des scénaristes par le biais d’une commission. Le nerf de la guerre, c’est de réunir des producteurs et des finances. Des gens intéressés par cette culture.

La place des Noirs au théâtre ou au cinéma est encore très faible en France. Ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis par exemple. Pourquoi ?

Les Noirs aux USA ont fait leur propre modèle économique. Et moi c’est ça que je suis en train de proposer. Comme ils ont imposé quelque chose, après les gens du milieu se sont dit qu’ils ne pouvaient pas faire sans eux. Il faut montrer qu’on existe. Honnêtement, on n’est pas loin. Les maghrébins, on fait 15 000 films avec Indigènes, La Vache, etc. Dans les communautés minoritaires, ils ont réussi. Du coup, c’est notre tour. J’en appelle à tous de s’inscrire et soutenir.

Recueilli par Florian Dacheux

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