Article mis à jour le 1 mai 2021 par La rédaction
Entrevue avec la réalisatrice Caroline Jules à l’occasion de la sortie de son film Tourments d’Amour. Le film a été triplement primé au Houston Black Film Festival 2017 en recevant le Grand Prix Long Métrage, le Prix Meilleur Film Etranger et la Meilleure photographie. Il a été également sélectionné pour le Festival du Film Black de Montréal qui se tiendra en septembre prochain.
Biloa-magazine.com : Quel a été votre parcours pour devenir réalisatrice ?
Caroline Jules : Après un diplôme d’assistante réalisatrice à Paris, j’ai démarré directement comme assistante sur des courts-métrages, tout en développant mes projets personnels. Quelques années plus tard, mon scénario « Paris Dakar », un huis clos entre deux « solitudes » le temps d’une nuit, a obtenu le 1er prix au Festival de Films de Femmes de Créteil (France), ce qui m’a permis d’approcher plus rapidement un producteur et de pouvoir réaliser mon premier film. Celui-ci a fait une quarantaine de festivals et a été acheté par plusieurs télévisions francophones. J’ai alors décidé d’utiliser mes rémunérations en droits d’auteur pour financer plusieurs formations en expertise scénaristique et poursuivre le développement de mes projets.
Parallèlement, à mes activités de réalisatrice, je travaille en télévision depuis 20 ans, d’abord comme assistante du responsable séries et fictions sur une chaîne câblée, puis comme responsable de la programmation sur une chaîne thématique et aujourd’hui je travaille aux acquisitions courts-métrages du Groupe Canal+ France.
Quels ont été vos principaux défis pour réaliser Tourments d’Amour, un film antillais et indépendant ?
Le financement est souvent le premier obstacle à surmonter. Il faut réussir à convaincre les différents organismes que le film a une portée universelle et ne concerne pas qu’un public restreint. A force de dossiers et de réécriture, nous avons réussi à obtenir les aides de la Région Guadeloupe et du Centre National de la Cinématographie (France).
Une fois le financement enclenché, il est ensuite important de trouver le bon casting. J’ai étendu mes recherches à Paris, en Guadeloupe et en Martinique. Christophe Rangoly, qui tient le rôle le père, n’est pas comédien de formation, mais il est connu des scènes slam en Martinique sous le nom de Papa Slam. En découvrant la vidéo d’un de ses slams, j’ai su immédiatement qu’il était celui qui incarnerait le mieux le personnage. Il est important de rester ouvert et de laisser les belles surprises venir à soi, et s’imposer comme une évidence. Un grand casting a également été lancé en Guadeloupe pour trouver les enfants et Man Nita, la grand-mère. Sur le tournage, avec les comédiens, nous avons alors travaillé sur le langage du corps, la gestuelle et le sous texte car le film repose sur le « donné à voir » plus que sur les dialogues.
Sur le tournage, il a également fallu gérer les changements rapides de lumière, propres aux Antilles : on peut passer plusieurs fois du soleil à la pluie au cours d’une même journée et le soleil se couchant très tôt, il était primordial d’optimiser chaque minute de ses 10 jours de tournage, d’autant que 95% du film se passe en extérieur.
Afin de gagner du temps, j’avais fait appel à mes anciens chefs de postes pour que la communication soit plus rapide et fluide : la production, le chef opérateur, l’assistant réalisateur et la scripte avaient déjà travaillé sur mon précédemment film, nous savions donc comment fonctionner les uns avec les autres, ce qui est un vrai confort. Le reste de l’équipe technique et artistique venait de Guadeloupe et le contact s’est fait très rapidement. Une vraie alchimie a eu lieu entre les membres de l’équipe de Paris et celle des Antilles, ce qui a énormément nourri le film. Je suis de ces réalisateurs qui aiment travailler dans une ambiance saine et humaine.
La post-production a été une étape chaotique et nous avons dû changer tour à tour de monteur son, de compositeur et d’étalonneur pour des raisons de divergences artistiques ou de planning. Mais ces contraintes ont finalement nourri le film de nouvelles rencontres professionnelles et humaines.
Dans ce film, il est question de la relation Père / Fille. Pourquoi avoir choisi ce thème ?
Le thème du film m’a d’abord questionné à titre personnel. Puis au travers des discussions (famille, amis, etc.) j’ai réalisé que ce rendez-vous primordial était bien souvent manqué. Beaucoup d’hommes et de femmes s’interrogeaient sur le rapport au père « d’autrefois » et à la paternité d’aujourd’hui. Comment être père, comment se définir en tant que tel, comment aborder le sien, qu’attendons-nous de lui ? Pourquoi certains ne savent-ils pas répondre à notre attente affective et quelles en sont les conséquences dans notre vie adulte?
Je souhaitais mettre en lumière ces petites phrases assassines qu’un parent peut parfois prononcer en toute inconscience et qui dessinent pourtant les premières failles émotionnelles du futur adulte.
La (non) relation Père/Fille est un thème universel, mais il prend une consonance particulière aux Antilles. La structure familiale matriarcale imposée par l’esclavage a défini une organisation des familles assez singulière, autour des femmes. Je tenais donc à placer cette histoire filiale au cœur de notre société antillaise, avec ses codes et ses croyances pour traiter de l’universalité du thème.
Que voulez-vous transmettre au public avec cette histoire ?
Simplement une réflexion sur notre propre relation au père. Une envie d’interroger chacun d’entre nous à titre personnel pour confirmer ou modifier le regard que l’on porte sur l’autre, sur notre façon de l’aborder… Ces personnages, qui pourtant s’aiment sincèrement, ne parviennent pas communiquer… Ils ne sont pas sur le même tempo et se butent systématiquement à la frustration de leur attente, plutôt que de s’accepter pour enfin s’entendre. Toute famille connait ou a connu cette difficulté à exprimer ses émotions, pourtant même au sein des familles aux relations chaotiques, il y a souvent de l’amour, beaucoup d’amour… mais trop de silences…
Après Paris, pourrons – nous voir votre film à Montréal ?
Parallèlement à sa sortie en salle ici à Paris, le film poursuit sa carrière en festivals, où il a déjà été primé plusieurs fois, dont le Grand Prix Long Métrage et Prix du Meilleur Film étranger au Houston Black Film Festival. En septembre prochain, il pourra être vu au Montréal International Black Film Festival. La nouvelle vient de tomber et je suis très très heureuse de cette sélection!
Quels sont vos projets pour la suite ?
Un réalisateur a toujours plusieurs projets de films en tête, mais ne sait pas toujours lequel sera le prochain…Certaines idées demandent encore à mûrir, d’autres à force d’attendre ont fini par pourrir sur l’arbre, il faut avoir la main verte et savoir cueillir la bonne idée au bon moment pour qu’un film voit le jour et trouve son public… Je suis donc tout aussi curieuse que vous de savoir la suite !
Propos recueillis par Neps