Article mis à jour le 5 juin 2020
Article mis à jour le 2 août 2022 par La rédaction
Syl Ko est une chercheuse indépendante, féministe et activiste afro-végane américaine. Invitée de la 4e édition du Festival Végane de Montréal, le 5 novembre 2017, elle y présentait une conférence intitulée Le mythe de l’animal en soi.À travers cette présentation, Syl Ko souhaite démontrer que les Noirs sont l’objet d’un processus social qui vise à les animaliser.
Pour étayer ses propos, qui suscitent parfois la controverse, Syl Ko s’appuie notamment sur des rapports de police américains qui comparent les Noirs avec des animaux. Dans l’un de ses messages textes, un agent de police de San Francisco parle d’un jeune homme noir en ces termes :« ce n’est pas illégal d’abattre un animal ». De même, aux États-Unis, certains crimes impliquant des Noirs ont été enregistrés sous la section NHI, « Non Humain Implication »[1], et n’ont jamais donné lieu à des enquêtes.
Selon Syl Ko, ces pratiques imposent le statut social d’animal à certaines minorités aux États-Unis, dont les Noirs,ce qui permet à certaines personnes de justifier leur violence envers les minorités. Il est donc important que les Noirs se sentent concernés par le traitement accordé aux animaux, car à tout moment, eux aussi pourraient être à leur tour considérés comme des animaux. « Les obligations envers les animaux non humains sont générées par un engagement antiraciste et anticolonial. […] En conséquence, la politique et l’activisme antiracistes et anticolonialistes doivent impliquer l’examen de la situation des animaux non humains ».[2]
À l’issue du Festival, Biloa Magazine est revenu avec Syl Ko sur cette vision élaborée dans son livre Aphro-ism : Essays on Pop Culture, Feminism and Black Veganism[3] et sur son concept de « Black Veganism », peu connu du grand public.
Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots en quoi consiste le « Black Veganism » ?
En fait, il est plus facile d’expliquer ce que le « Black Veganism » n’est pas. Ce n’est pas une identité. Ce n’est pas juste l’idée que les Noirs soient végétaliens. Il s’agit d’une vision. Ce que dit le « Black Veganism » c’est que le racisme et la suprématie blanche sont anti-noirs et anti-animaux. Nous pensons que les concepts d’être humain et d’animal sont des concepts raciaux. Voilà en quelques mots ce qu’est le « Black Veganism ».
Comment avez-vous bâti cette théorie du « Black Veganism » ?
Le livre que j’ai co-écrit sur le sujet avec ma sœur, Aph Ko[4], Aphro-ism : Essays on Pop Culture, Feminism and Black Veganism est en fait le résultat de dix ans de travail et de discussions. J’ai commencé à élaborer cette vision du « Black Veganism » lors de mes années universitaires. Cette vision se nourrit de discussions que j’avais à l’époque avec une amie proche. Nous avions l’habitude d’échanger sur des articles et des livres que nous lisions puis de comparer nos idées.
Nous cherchions à découvrir, en tant que femmes noires, une façon de nous libérer de la pensée raciste et spécialement du racisme que l’on dirige contre soi-même, le racisme internalisé. Mon amie tenait un Blog et elle m’a proposé assez naturellement de publier des articles sur les sujets qui m’intéressaient. C’est ainsi que tout a commencé. Nous ne nous attendions pas à ce que des personnes lisent ou prêtent attention à mes écrits. Nous essayions juste de faire quelque chose pour nous-mêmes. Dans notre livre, nous reprenons donc les essais du Blog les plus populaires,et nous publions de nouveaux essais. Cette compilation permet au lecteur de mieux suivre l’évolution de nos idées.
Il peut être difficile de comprendre le lien entre le terme de « Veganism » et la théorie que vous défendez. Ne craignez-vous pas qu’il puisse y avoir un malentendu dans l’esprit des gens autour de ce concept ?
Si c’est le cas, cela ne me dérange pas. J’ai inventé ce terme de façon intentionnelle. Je voulais tout d’abord attiser la curiosité des Noirs. Qu’ils se disent : « Mais qu’est-ce que c’est le Black Veganism ? »Je voulais aussi aider les gens et les organismes qui tentent de dépasser ce stigma que représente le fait de parler des Noirs et des animaux dans le même espace. À chaque fois que l’on aborde le sujet des animaux dans le contexte d’un concept de marginalisation et spécialement celui des Noirs, les gens se braquent.
Certains nous reprochent d’essayer d’appeler les Noirs des animaux. Il est navrant qu’on ne puisse pas parler de différents types d’oppression dans le même espace sans que les gens supposent que ces groupes sont identiques. En réalité, le fait de penser à la situation des animaux en terme social est une façon de nous permettre, en tant que Noirs, de nous libérer des idées horribles que nous avons sur nous-mêmes.
[1] En Français : Pas d’implication humaine.
[2] Source : http://www.blackvegansrock.com/blog/2016/1/3/feature-syl-ko
[3] En français : Aphro-ism: essais sur la culture pop, le féminisme et le végétalisme noir.
[4] Aph Ko est une théoricienne de la décolonisation noire et une productrice indépendante de médias numériques. Elle est également co-auteure du livre Aphro-ism : Essays on Pop Culture, Feminism and Black Veganism.