Simon Worou : « Il faut arrêter de s’en prendre aux immigrés »

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Article mis à jour le 6 mai 2020 par La rédaction

Noir et fier de l’être, Simon Worou, 45 ans, est maire de Sainte-Juliette sur Viaur dans l’Aveyron. Sa nature positive lui permet de passer les épreuves de la vie auxquelles il est confronté, telles que la discrimination et le racisme. Entretien avec un homme au grand coeur.

Simon Worou - Photo Afp.com / Jose Torres
Simon Worou – Photo Afp.com / Jose Torres

Racontez-nous votre parcours…
Après mes études, un BAC C à Lomé au Togo, j’ai fait dès 1998 l’école des sous-officier de l’armée de l’air à Rochefort Saint-Agnant en Charente-Maritime. Puis je suis parti travailler pendant deux ans en Allemagne à Fribourg où j’avais un frère qui était installé là-bas. Puis je suis revenu en Aveyron car on avait envie d’y retourner avec ma femme que j’avais rencontré à Rodez pendant des vacances de l’armée. Elle est originaire de ce département, ses parents y sont agriculteurs. Nous nous sommes installés à Sainte-Juliette sur Viaur, dans sa ferme natale, où nous avons aménagé une grange. On y vit depuis 2003.

Parlez-nous de Sainte-Juliette…
C’est un petit village. Nous avons dépassé le cap des 600 habitants. C’est un village mixte entre agriculteurs et lotissements. Nous ne sommes pas loin de Rodez, la préfecture. On a un café de village pour seul commerce.

Vous avez quitté le Togo pour l’Aveyron en passant par l’Allemagne… Pourquoi l’Aveyron ? N’est-ce pas particulièrement difficile dans un département où le métissage culturel est quasi nul ? 
Au départ, les habitants étaient très méfiants, c’est vrai. Les Aveyronnais paraissent bruts au premier abord. Une fois que vous avez fait vos preuves, que vous avez convaincu, ça se passe mieux. Il y a une période d’observation à franchir. Les grands-parents de ma femme n’avaient jamais vu un Noir. Cela s’est passé tout doucement. Je suis devenu le Simon du village. J’ai été complètement adopté. J’ai même joué au rugby dans le village voisin de Cassagnes-Bégonhès.

Comment êtes-vous entré en politique ?
Je suis de nature humaniste. J’aime le contact. J’ai fait beaucoup d’associations. En 2008, on est venu me chercher pour être conseiller municipal. Je m’occupais de l’électrification.

Vous êtes maire de la commune depuis 2014. Quels projets avez-vous réussi à mettre en place ? 
Le programme de la liste que j’ai monté, c’était le « vivre ensemble ». Nous avons mis en place un lieu de connexion avec un terrain multi-sports avec module de jeux pour enfants, un terrain de pétanque, un espace vert de détente. Cela permet aux nouveaux qui arrivent de rencontrer les anciens. Cela permet que chacun se retrouve. Quand ils sont ensemble, forcément la discussion s’engage. Aujourd’hui, il y a vraiment une symbiose entre les jeunes et les anciens. Nous nous sommes également occupés de la station d’épuration qui était caduque depuis 2004. Nous sommes sensibles à l’environnement. Nous avons investi 250 000€ pour refaire cette station avec roseaux et aménagements. Au total, c’est près de 400 000€ d’investissement (subventions département et région) pour des projets de proximité et d’environnement.

Quelles sont vos relations avec la classe politique locale ?
Ils ont appris à me découvrir. Je suis le premier maire noir de la région Midi-Pyrénées, et actuellement le seul dans le Sud. Réellement, on doit être 2 ou 3 en France. Je siège à la communauté de communes de mon canton, au syndicat de l’électrification, au Schéma de Cohérence Territoriale, au Plan d’Aménagement du Territoire. Je participe vraiment à beaucoup de choses.

Avez-vous déjà été victime de racisme ? Votre ami Olivier Rebois, votre entraîneur de rugby à l’époque, avait confié à L’Express les coups durs que vous aviez subi, du « mange ta banane » à « sale nègre » de certains supporters…
Vous savez, cela m’arrive, encore aujourd’hui, de me chauffer avec des collègues. Les mentalités sont comme elles sont. Actuellement, la situation devient très « anti-immigration ». J’ai beaucoup de chance car je suis connu sur le département. Cela n’empêche pas que, même devant moi, certains tiennent des propos insupportables auxquels je réponds. J’essaie de leur apporter une autre vision des choses.

En mai 2014, suite à votre élection (62% des voix), vous avez été très médiatisé. Ressentez-vous de la jalousie chez certains ?
Forcément car je prends très souvent position contre la montée du FN. Dans mon équipe, j’ai des amis qui votent FN. C’est leur opinion. Certains me le disent ouvertement. Ce qui me dérange, c’est la manière. C’est dangereux. Il faut arrêter de s’en prendre aux immigrés. Ma mission personnelle, c’est d’arriver à faire comprendre que l’immigré n’est pas forcément le mauvais.

Selon vous, pourquoi, alors que nous sommes en 2016, le Blanc est-il toujours vu comme un être supérieur ?
Nous sommes dans une discrimination sociale. Quand on n’a pas le niveau de richesse, on est forcément diminué à leurs yeux. Or, ils ne connaissent pas notre richesse culturelle. Après, selon moi, ce n’est pas que la faute des Blancs. Certains Noirs ne font pas l’effort, restent timides. Moi j’ai osé quand tout le monde me riait au nez en me disant « tu passeras jamais ». J’ai osé. Nos enfants ne seront pas pareil. Cela ira de mieux en mieux, même si cela reste compliqué au contact des gens fermés. Mais j’ai confiance en la nouvelle génération. Nos jeunes ne sont pas complexés. Ils sont nés ici. Ils ont la même culture, la même langue, le même accent. Nous, les anciens, avons gardé le reliquat de notre accent qui parfois dissuade certains. Mais l’intelligence ne se trouve ni dans la langue, ni dans la couleur de peau. On parle des Noirs, des Maghrébins. Mais vous savez, partout en France, quand vous n’êtes pas de la région c’est difficile. Un Parisien sera toujours un Parisien, même si il vit et travaille 50 ans dans le coin.

En début de semaine, des affiches anti-migrants ont été déployées dans les rues de Béziers, ville dirigée par le Frontiste Robert Ménard… Quelle est votre réaction ?
On est dans la pure provocation. C’est à l’image de la société française. Il fait cela car il sait qu’il a la majorité des habitants qui pense comme lui. Je pense également que les médias ne jouent pas leurs rôles. Aujourd’hui, tout est fait pour montrer le mauvais côté. On est devenu une société égocentrique.

Nous allons tenter de conclure notre entretien sur une note positive. Dites-nous ce que vous aimez dans l’Aveyron ?
J’aime le paysage, qui me rappelle ma ville Atakpamé au Togo. Avec ce relief et cette richesse du territoire. Nous avons l’aligot connu partout en France. Le couteau Laguiole, qui est une marque déposée. Et surtout, il y fait bon vivre.

Pensez-vous finir votre carrière, voire vos jours, là-bas ?
Oui.  Au départ, j’y ai travaillé dans des moyennes entreprises, des abattoirs, puis comme technicien sur une décharge départementale et un centre de tri. En parallèle de mon poste de maire, je suis entré en 2010 à la collectivité de Rodez comme responsable du service nettoiement et propreté urbaine. Je gère 24 agents. Je ne vois pas pourquoi je partirai.

Allez-vous vous représenter ? Viser plus haut, une autre ville ?
Pour l’instant c’est trop tôt. Tant que j’aurais l’énergie, je continuerai, C’est assez compliqué d’être à la tête d’une commune. On est un peu le maire de proximité. Cela demande beaucoup d’effort, de diplomatie. Je ne dis pas non mais pour l’heure j’ai à cœur de bien terminer mon mandat et de le marquer. J’en profite au passage pour passer un bonjour à tous mes amis de Montréal.

Propos recueillis par Florian Dacheux