L’artiste graffeur STEEK voit la femme en bombe

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Article mis à jour le 1 mai 2021 par La rédaction

L’Art urbain: la chromothérapie du promeneur sur des sites les plus improbables des plus grandes villes de la planète. Celles-ci se vêtissent des couleurs Street Art pour une symphonie explosive en couleurs antimorosité, une voltige de fresques murales au langage visuel tonique pour redonner un second souffle de vie aux espaces publiques. Une véritable ballade artistique dans une galerie d’art à ciel ouvert! Né dans les années 60 de la culture du Graff et du Hip-Hop et longtemps considéré comme un acte de vandalisme, l’Art urbain a démocratisé la culture artistique de notre société moderne.

Pour le magazine Biloa,  STEEK artiste graffeur et body-painter guadeloupéen autodidacte  confirmé, révèle son quotidien et nous dévoile SA MUSE!

STEEK est le blaze de l’artiste Benoit Bottala, un virtuose des couleurs et des formes. Une bombe aérosol dans une main pour le graffiti et l’aérographe pour le body-painting dans l’autre, il laisse son empreinte artistique sur des murs, des toiles et des corps dans différents pays qu’il affectionne et fascine les publics sur les podiums des championnats européens et mondiaux: Canada, États-Unis, Angleterre, Allemagne, Autriche, République dominicaine.

2014: STEEK s’exporte au Canada, passeport en main et PVT (permis vacances travail) en poche. Montréal, la ville de l’art mural par excellence, accueille sa frénésie de créateur dans les endroits les plus emblématiques de la ville, qui découvrent les prestations de l’artiste, masque sur le visage et bombe « scotchée » à la main. Le journal de Montréal et le site web Night Life parlent de lui. 2 mois plus tard, STEEK signe son premier contrat avec la Galerie Luz à Montréal, galerie emblématique au centre d’art Édifice Belgo. Son sujet de prédilection? La FEMME! Entre féminité, sensualité et séduction, ses représentations féminines interpellent, surprennent et envoûtent. Une alchimie particulière avec sa muse. Mais qui est-elle?

STEEK Tu es artiste graffeur autodidacte et body painter. Raconte- nous tes débuts dans le graff

Très jeune, j’ai visité pas mal de musées et inconsciemment, j’étais attiré par le dessin et l’art. Dès mon enfance, en me baladant en Guadeloupe. J’ai pu visiter la plus grande galerie du monde qu’est la rue et voir un certain nombre de graffitis. Pour la première fois qu’en dehors des galeries, je pouvais avoir accès ne serait-ce que visuellement à une forme d’art.  Et un jour, j’ai décidé de prendre des bombes et de tester! J’ai eu un déclic avec l’outil et tout est parti de là! Cette notion de la gestion de la pression, voir la peinture qui est projetée d’une bombe et qui se pose sur un mur et lui donne vie, qu’il soit tout blanc ou tout gris, cela m’a plu!

J’ai commencé le graffiti fin 1990 pour en faire mon métier en 2006 et découvert le body painting en 2010, que j’ai décidé d’exécuter à l’aérographe. Aujourd’hui, 17 ans après avoir commencé artistiquement, j’ai été le mois dernier, champion du Monde du Body Painting. Je suis surtout content qu’en tant que Guadeloupéen et insulaire, d’avoir la chance de pouvoir accéder à tout ce monde artistique. Même si la Guadeloupe est ultra développée sur une multitude de métiers artistiques différents, on reste sur une petite île, qui n’a pas accès à tout ce qu’un grand pays peut donner. A Paris, il y a une cinquantaine de galeries pour deux en Guadeloupe.

En quelques mots, comment toi STEEK, te perçois-tu? Si je te dis STEEK est…

STEEK « et » ou « est »? (Sourire). STEEK est passionné et a besoin de la peinture. C’est une nécessité personnelle, biologique, physiologique, avant que ce soit une nécessité financière. Il ne peut pas rester une semaine sans peindre! Avant le fait que ce soit mon métier et que je le fasse pour vivre, pour payer les factures, je le fais surtout parce que c’est un besoin!

Un besoin, qui se traduit comment?

C’est un besoin primitif, le besoin de peindre, de sentir l’outil dans la main, de créer quelque chose, de m’exprimer sur le support choisi à ce moment-là. J’ai la chance de peindre sur mur, sur toile, sur corps, de pouvoir m’exprimer en faisant passer des messages.

Es-tu un homme de défis? Si je dis par exemple Champion du Monde 2017 de body- en Autriche, Art Urbain…

Quand j’ai commencé le body painting en 2010 et participé à mes premiers championnats du monde en 2011, je me suis pris une bonne claque en terminant avant-dernier. Mon défi était « Je veux un jour être champion du monde! »  Cela m’a pris 7 ans à découvrir la discipline, 7 ans pour y arriver et j’y suis arrivé! Le graffiti est un challenge à chaque fois que l’on peint un mur. On n’a pas forcément toujours l’autorisation. Le challenge consiste alors à réaliser une belle pièce sans finir tracassé par la loi ou par une éventuelle amende. Etre artiste et vivre de son art est déjà un challenge quotidien en soi, surtout sur une île! On a qu’une vie, alors autant la rendre plus palpitante.

Selon toi, à qui appartient la rue?

Pour moi, à la nature! La nature était là avant même que les gens veuillent se l’approprier. L’homme a voulu mettre du béton partout. Je ne touche jamais aux murs des privés, car je considère que la personne a construit sa maison à la sueur de son front! Je peins sur des murs publics qui appartiennent à l’Etat, qui s’est approprié cette zone, a et tout ratiboisé et décidé d’y mettre un bloc de béton. Je me dis « en quoi, il aurait droit de le faire et en quoi, moi, je n’aurais pas le droit d’y mettre de la couleur? » La loi a décidé que c’est illégal, je vis dans ce système. Si je ne suis pas content, je n’ai qu’à vivre en marge du système. Je suis dedans, j’accepte les codes et les règles. C’est interdit de le faire, je le fais quand même parce que dans ma vision des choses, j’ai autant le droit de le faire que ceux qui ont décidé que l’espace leur appartenait et se sont permis de détruire des arbres. Si cela me pose des problèmes, j’assumerais!

A ce propos pas de problèmes avec les autorités, de petites courses poursuites?

Justement, je touche du vrai bois! (STEEK touche le tronc d’un arbre). J’ai 2 manières de peindre: l’officielle où je signe STEEK, et la seconde, un peu plus vandale, que je travaille plus la nuit où le concept est d’en mettre partout, que je ne signe pas STEEK. Je signe un autre nom, que je ne révèlerai pas. Ceci, parce que c’est cela la base du graffiti, malgré tout. Le graffiti a été créé dans les cités, les quartiers difficiles car les gens avaient besoin  de s’exprimer. C’est une forme d’art existentiel, une façon de dire qu’ils vivaient dans le ghetto et qu’ils existaient. Les précurseurs mettaient leur nom partout. C’est la base du graffiti. Même si aujourd’hui, on fait des expos et que l’on gagne notre vie en peignant des murs, le fait de dire que l’on est graffeur, c’est quelque chose que l’on a connu et  commencé par la base.  J’ai parfois besoin de sortir à 2 heures du matin et d’aller peindre!

Tu fais tout de même passé des messages au travers de tes œuvres?  

Je fais plus passer de messages sur une œuvre officielle, que je vais signer STEEK, que lorsque je vais faire du vandale pur où je signe autrement parce que c’est plus un message personnel vis-à-vis de moi-même. J’ai besoin de m’exprimer et de ressentir ce que je ressentais à mes débuts. C’est la sensation que l’on connaît quand on est dans la rue, lorsqu’il fait nuit, qu’il n’y a pas une lumière et que vous utilisez un fatcap pour faire des traits très gros, que vous devez peindre le plus vite possible parce que vous ne pouvez pas rester!

N’as-tu pas l’impression à ce moment-là de te retrouver un peu en transe sous une poussée d’adrénaline?

Oui, c’est tout à fait ça! On vit ce que l’on a connu à nos tous débuts. Il faut se mettre en danger entre guillemets. Il est plus facile de peindre en vandale en Guadeloupe, que sur Paris ou à New York. J’ai déjà du courir, je me suis déjà fait prendre, parce que cela reste illégal. Je n’ai jamais fini en garde en vue. J’aime bien cette notion de transe en fait, comme tu le dis. Je n’avais jamais vu cela sous cet angle. Oui, quand je peins une fresque, sur une toile, un body,  cela peut associer à de la transe. Je rentre dans ma bulle, dans mon monde. Cette petite touche d’illégalité, cet aspect primitif, dont on a besoin, sont les bases de notre art.

Je pense que tu as besoin de faire sortir tout ce que tu ressens, avec une certaine frénésie dans les mouvements.

Oui, c’est cela! Après, on apprend à le faire sortir de manière un peu moins primitive, parce qu’institutionnalisé du fait que l’art maintenant se retrouve en galerie et se vend. On souhaite inconsciemment répondre à des critères. Quand je peins mes toiles, même si je sais que le système exige que l’on réponde à des codes, je privilégie toujours cet instinct primitif, qui m’aide à produire mon commercial et le rendre plus naturel.

Le Street Art est désormais considéré comme un mouvement artistique. Aujourd’hui, de grandes marques et des chaines de magasins se sont emparées de ce mode d’expression, qu’en penses-tu?

C’est une évolution avec ses bons et mauvais côtés. Ce qui m’amuse le plus, ce sont toutes ces grandes marques qui utilisent le Street art de manière commerciale mais qui n’acceptent pas que parfois, un artiste fasse du Street Art sur leur store ou sur leur mur et considèrent cela comme un manque de respect. Ils veulent le beurre, l’argent du beurre mais pas la crémière!

En parlant de marque, parles-nous de ta collaboration avec la marque UKA (United Karibean Artists)

Je ne vois pas UKA comme une marque. UKA est pour moi, un collectif d’artistes où Gonzo (le créateur de UKA) a en très peu de temps, réussi à fédérer plusieurs artistes à l’international, Ce qui est très rare aujourd’hui et que je trouve extraordinaire! Les productions sont au top! De ce fait, je ne me sens pas associé à une marque.

 

La place de la femme dans tes œuvres? Comment perçois-tu la femme en tant qu’artiste? Que t’inspire-t-elle?

La femme est Mon sujet de prédilection. Ayant perdu mon père très jeune, j’ai été élevé par ma mère à qui je voue un profond respect. Sans jeu de mots, ma compagne m’accompagne depuis des années et a fait de moi, un artiste, l’artiste que je suis aujourd’hui. Elle m’a beaucoup aidé! J’ai cet exemple et celui de ma mère depuis toujours. J’ai cet amour entre guillemets pour la Femme et ce respect pour elle. Nous sommes soi-disant dans un système égalitaire entre l’homme et la femme mais il existe  encore énormément de domaines où la femme est toujours reléguée au second plan. Ce ne sont pas des paroles de féministe et je ne cherche pas à l’être! Pour une même profession, la femme sera toujours moins payée que l’homme. J’apporte ma micro touche pour dire ma façon de penser et je considère la femme presque plus forte que l’homme. Quand je pose la femme sur le papier, je me dis que la femme pourrait faire des choses que l’homme fait, mais pas forcément l’inverse!

Ta compagne n’est-elle pas ta première fan?

Ma mère est ma première fan! Ma compagne l’est dans un certain sens. J’aime bien ce mot « compagne » parce qu’elle m’accompagne vraiment dans tous les sens du terme!

Comment ta compagne vis-t-elle ce besoin de représenter la femme dans ton art?

En fait, dans les représentations féminines que je réalise, les gens me disent « Tiens, on dirait ta femme! » La photo de base qui me sert de support n’a absolument rien à voir avec ce que je représente. Mais voilà! Ma représentation féminine lui ressemble! C’est ma manière même inconsciente et vraie de lui dire que même à cet instant, elle était là!

Qu’est qui a porté tes pas vers Montréal?

Le Canada a été mon premier grand voyage en tant qu’artiste. J’ai un ami de Guadeloupe, qui y habite et qui m’a proposé de m’y accueillir,  sachant que Montréal est une ville où l’art est très développé avec des body painters très connus. Avec mon PVT, j’ai ensuite débarqué à Montréal. Lorsqu’on vit sur une île, on a tendance à se satisfaire de ce que l’on a, n’étant pas confronté aux autres et ce qui se fait de manière générale.  Lorsque je suis arrivé à Montréal, je me suis pris une belle claque. Même si sur ta petite île, tu commences à être quelqu’un, quand tu arrives à Montréal, tu n’es personne. L’égo en prend un coup et cela te permets de grandir rapidement et fortement! J’en suis ravi et c’est génial!  Voilà pourquoi Montréal, où j’avais aussi d’autres amis là-bas, qui m’ont beaucoup soutenus et aidé. Montréal est un joli point dans mon parcours. J’ai été choisi par la galerie  Luz à Montréal de style Hip Hop. Une pierre, plusieurs coups et ultra bénéfique. Cela fait un moment que je n’y pas allé et j’aimerais y retourner car j’aime beaucoup Montréal! J’ai eu la chance d’y faire le second plus grand festival  de Montréal en Street Art.

Un petit mot pour la fin?

Je suis content que les médias s’intéressent à nos disciplines, le graffiti et le body painting. Cela permet de faire connaître nos travaux. Ce n’était pas le cas avant! Un joli et grand merci aux médias de suivre nos disciplines et nous en tant qu’artistes. Cela nous aide beaucoup à nous faire connaître!

Propos recueillis par Ghislaine FEREC

Crédits photo : Ghislaine FEREC