Article mis à jour le 25 novembre 2021 par La rédaction
Depuis mars 2020, la librairie Racines propose un service de vente en ligne sur son site Internet. Une nouvelle étape pour ce lieu culturel qui valorise, depuis près de quatre ans, les histoires, la culture et les conditions de vie des personnes racisé.e.s. C’est la conviction profonde de la fondatrice de la librairie, Gabriella Garbeau alias Gabriella Kinté, militante et auteure montréalaise de 30 ans, qui est à l’origine de la création de cette librairie. Selon elle, c’est une question de volonté : « on pourrait ouvrir une librairie uniquement avec des auteurs noirs tellement il y en a. » Biloa a rencontré la jeune entrepreneure qui a accepté de revenir avec nous sur cette aventure inspirante.
La librairie Racines est située au 5118 rue Charleroi, à Montréal-Nord. Lorsqu’on franchit ses portes, on est accueilli par Gabriella qui nous décrit avec passion son mandat. Les murs colorés de bleu sont garnis de toiles, fruit de talentueux artistes, qui participent à l’ambiance chaleureuse du lieu. Des étagères, des canapés, une grande table autour de laquelle s’asseoir pour lire ou converser. On se croirait dans son salon, entouré de livres et d’amis. Un véritable cocon qui nous fait vite oublier l’agitation du dehors.
Ouvrir une entreprise culturelle à Montréal-Nord était un pari audacieux. De nombreux préjugés collent depuis longtemps à la peau de ce quartier marginalisé. Pourtant ce choix s’est très vite imposé dans son esprit. C’est à Montréal-Nord que cette jeune Québécoise d’origine haïtienne a grandi et c’est ici qu’elle voulait concrétiser son rêve.
Les racines d’un rêve
Mais où prend racine ce rêve ? C’est lors d’un congé maladie, que Gabriella conçoit le projet de mettre sur pied Racines. « Durant cette période difficile, ma thérapeute m’avait recommandé de fréquenter des endroits où je me sentais bien. » Pour elle, c’était les bibliothèques. Mais en déambulant dans celles de son quartier, elle peine à trouver des livres écrits par des femmes noires. Elle décide alors de remédier au problème et, sans aucun plan d’affaires ni expérience dans le domaine, se lance corps et âme dans cette aventure.
« Pendant le Mois de l’Histoire des Noirs, j’ai organisé une collecte de livre en invitant les gens de ma communauté à me donner un de leurs livres préférés. »
À la suite de cette collecte, avec l’aide d’amis et de bénévoles, elle lance une campagne d’auto-financement, organise des évènements-bénéfices et reçoit également des dons d’organismes communautaires de Montréal-Nord. En 2017, elle trouve un local et y installe ses premières étagères. Elle baptise sa librairie Racines, en hommage à la série culte, Roots (1977), qui raconte l’histoire de Kunta Kinte, jeune Africain devenu esclave aux États-Unis, auquel elle emprunte aussi son pseudonyme. Racines fait également référence aux livres qui lui ont permis de renouer avec son histoire et ses origines haïtiennes.
« Je cherchais des livres qui me renseignent sur mes propres origines, souligne-t-elle. Je n’ai pas toujours eu ce genre de conversations avec mes parents. Je voulais en savoir plus sur mes racines. C’est important de savoir d’où l’on vient. »
Pour Gabriella, le livre représente un outil pour se réaliser et Racines un lieu pour se construire. Le jeune public y a une place importante et l’on y trouve des livres dans lesquels les enfants découvrent différents héros noirs auxquels s’identifier : pompiers, astronautes, etc., loin des stéréotypes. Les jeunes adultes ne sont pas en reste : des conférences sur des thèmes divers animent régulièrement les soirées de la librairie.
« Avec mes amis, nous ressentions le besoin d’avoir des espaces à Montréal-Nord où nous réunir, discuter et imaginer le monde. »
La librairie devient un espace d’échanges, de partages et de transmission intergénérationnelle.

Un chemin de Damas
Lorsqu’elle fait le bilan de ces quatre premières années, la jeune libraire réalise que son chiffre d’affaires est principalement généré par les achats de clients résidant en dehors de Montréal-Nord.
« Ce n’est pas le quartier le plus rentable, reconnaît-elle. Il y a des problèmes d’accessibilité aux transports. Mais, je veux malgré tout demeurer ici. »
Cette ancienne travailleuse sociale considère que la population du quartier, dont les deux tiers sont issus directement ou indirectement de l’immigration, a besoin de lieux de rassemblement à son image.
Valoriser les histoires, les cultures et les conditions de vie des personnes « racisé.e.s », la vocation même de Racines a parfois été critiquée. Gabriella aurait pu utiliser le terme « diversité »,la militante lui a préféré celui de « racisé.e.s ». Ce choix a créé des amalgames, mais la jeune femme assume :
« le mot est imparfait, mais je souhaitais l’utiliser, car il englobe les communautés noires et d’autres communautés touchées elles aussi par une sous-représentation, comme les Autochtones. »
Elle regrette cependant que le Journal métro ait, en 2017, présenté Racines comme une librairie qui allait « faire la part belle aux communautés victimes de racisme ». « Certaines personnes se sont senties exclues. La librairie n’est pas ouverte qu’aux seules personnes racisé.e.s et il n’y a pas que des livres écrits par des auteurs noirs sur mes étagères », insiste-t-elle.
Résolument communautaire
Malgré les embûches et les incompréhensions de certains, les efforts de la jeune entrepreneure ont payé. Selon elle, Racines a trouvé son public. « Dès l’ouverture, la librairie a été très fréquentée », confie-t-elle. Son initiative a également été saluée par la Mois de l’Histoire des Noirs de Montréal. En 2018, elle fait partie des lauréats de la 27e édition de l’événement. Selon Rebecca Joachim, une bénévole qui s’est impliquée au sein de la librairie dès le commencement, la propriétaire de Racines est soutenue par de nombreuses personnes. « Elle est enthousiaste et facile d’approche. Elle aime aider les gens et encourager la communauté. Les personnes qui l’ont soutenue se sont attachées à elle et à son projet ».
Un appui essentiel, car l’entreprise n’est pas de tout repos. La recherche de financement reste son principal défi. La fondatrice de Racines se doit de rester créative et d’innover.
« Une jeune femme m’a confié qu’elle voulait écrire et publier son premier livre à Racines », dit-elle en souriant.
Pour que le rêve de cette jeune femme prenne vie et que de futurs auteurs et créateurs puissent multiplier les initiatives au sein de la communauté, Gabriella est déterminée à ne rien lâcher. Elle veut durer ! Durer pour inspirer. Durer pour faire rêver.
Photo : courtoisie Gabriella Kinté