Article mis à jour le 13 mai 2016 par La rédaction
Formée au Cours Florent, Zem-Zem Bizot vit à Paris. Née au Congo Brazzaville, cette jeune artiste tente de se faire une place dans un milieu complexe. Elle livre un regard poignant sur le monde qui l’entoure, tout en conservant un optimisme et une envie de se battre pour ce qu’elle est : une femme noire en 2016.
Qu’avez-vous appris lors de votre formation au Cours Florent ?
Honnêtement j’ai appris, de part ma couleur, qu’il n’y avait pas beaucoup de diversité dans le théâtre ou le cinéma. C’est très difficile de trouver des personnages qui soient forts, prenants, des personnages qui ne soient pas stéréotypés. A la base, il y a très peu de pièces françaises où le personnage peut être noir. On part avec un gros handicap. Quand vous passez un casting où ils cherchent une fille, même si ils ne vous le disent pas, ils cherchent une fille blanche. Pour moi, étant adoptée et ayant grandi dans une famille blanche, un enfant noir dans une famille n’est pas différent. Quand vous mettez une personne de couleur dans une pièce, ça attire l’oeil. Donc soit il faut en mettre plus pour que ce ne soit pas perturbant, sinon un seul ça peut être perturbant. Les metteurs en scène ont du mal souvent à mettre une personnage noir dans une pièce. Je regarde des offres de casting tous les jours. Il doit y avoir trois castings par an avec de bons rôles pour des gens de couleurs. Sinon, techniquement, j’ai appris à contrôler ma voix, à créer ma singularité, à me démarquer, à jouer de ça.
Quel est le projet auquel vous avez participé dont vous êtes la plus fière ?
« Et les chiens se taisaient » d’Aimé Césaire mise en scène par Françoise Dô. Les mots y sont magiques. Au Cours Florent, on s’est vraiment battu pour ce projet. C’est une pièce où nous sommes majoritairement des personnes de couleurs qui parlent de l’esclavage. Une pièce écrite par un auteur martiniquais et africain. C’est le théâtre que je veux défendre. La France a un héritage théâtral très élevé. C’est bien. Mais il faut savoir où l’on veut se situer. Et pour moi qui suis 100% africaine, c’était important de montrer qu’il y a des auteurs en Afrique. Au point qu’un lieu tel que La Présence Africaine existe à Paris. C’est important d’en parler, de le dire, de le jouer. L’Afrique sait écrire.
Quelles sont vos forces et faiblesses ?
Ma force est aussi ma faiblesse. De vouloir mettre mon ethnie en avant. J’ai la force de vouloir montrer ça à la France, mais c’est aussi ma faiblesse. Cela irait plus vite si contrairement à d’autres artistes que je ne citerai pas, je prenais des rôles que la France voudrait me donner. Mais nous ne sommes pas seulement des noirs sans papiers. Si je prenais certains de ses rôles, peut-être qu’à l’heure actuelle je serai connu ou reconnu. En voulant porter l’art africain, c’est aussi ma faiblesse.
Avez-vous été victime de discrimination ou comment avez-vous ressenti que c’était plus dur pour les noirs ?
Je passais un casting et une personne du monde du théâtre est venu me voir après. Il aimait beaucoup ce que je faisais. Il m’a demandé si ça faisait longtemps que j’étais en France, il m’a dit que je parlais très bien le français pour quelqu’un de ma couleur. Donc voilà, c’est le côté très charmant de ce métier parfois. Puis un autre casting pour un rôle de fille de cité proposé par mon ancien agent. Quand j’ai vu le texte, je n’avais pas forcément envie de le faire, je n’ai pas mis beaucoup de conviction. Une personne du jury m’a dit que je pouvais le faire car les gens comme moi connaissent la cité. Je suis restée calme en lui répondant : les gens comme moi ?
Comment combattre ce phénomène de discrimination qui perdure en France et ailleurs ?
Je trouve que les artistes d’aujourd’hui ne nous aident pas. Quand on voit tous les comiques qui font rire du monde en se moquant de leur propre ethnie, tous ceux qui acceptent des rôles basiques. Aux Etats-Unis, même si tout est loin d’être parfait là-bas, il y a des gens comme Spike Lee qui montre autre chose que les noirs dans le ghetto. Le noir n’est pas tout le temps la personne la plus pauvre du film ou des gens qu’il faut aider. Ils ont des pièces de théâtre telles que « For Colored Girls » avec de beaux personnages féminins noirs. Cette pièce a été ensuite reprise au cinéma.
Pensez-vous notamment que les artistes noirs en haut de l’affiche devraient s’exprimer davantage publiquement ?
Je ne critique pas comment quelqu’un est arrivé ici ou là. Il y a des beaux parcours. Mais je trouve qu’il y a parfois un manque d’entraide. Quand tu arrives haut, tu peux faire bouger les choses. Aujourd’hui, il y a de très beaux rôles pour les personnes d’origine maghrébines, et je trouve qu’ils se sont entraidés. Est-ce que les gens qui sont arrivés au sommet ne veulent pas prendre parti ou s’approprient tous les rôles ? Je ne sais pas. Quand on voit Jamel Debbouze qui a ouvert le Jamel Comedy Club, c’est très bien. Dommage que les noirs connus ne disent rien pour jouer autre chose qu’un noir caricaturé. J’y crois encore, mais il faut du soutien.
Quel regard portez-vous sur votre génération ? La sentez-vous victime, engagée, subir ?
Je ne pense pas que ma génération subisse. Elle est très « je m’en foutiste ». Tant que les gens ne sont pas touchés en premier par le problème, ils ne se sentent pas concernés. C’est une génération très égoïste. Chacun va essayer de s’en sortir mais seul. Ils acceptent des rôles que je considère un peu dégradant mais avec une certaine somme d’argent derrière. A toi qui essaies de combattre cela, ils vont te dire « c’est ton problème mais je respecte ».
Avez-vous un projet essentiel à réaliser dans votre vie ?
J’en ai deux, dont une pièce que j’ai écrite, que je suis en train de réécrire. Elle est très importante à mes yeux, c’est une ode à la femme noire. Je préfère prendre le temps et faire les choses bien. J’ai appris la patience. J’ai vu tellement d’amis lancés leurs projets après leurs études, avoir des dettes de dingue en se lançant dans un festival d’Avignon chaotique. Je préfère attendre d’être sûre de moi.
Pouvez-vous nous parler de votre autre passion qu’est la danse ?
Je danse depuis l’âge de six ans. J’aime beaucoup la danse contemporaine. J’essaie de monter un projet vidéo de solos de danse. Je suis beaucoup dans les bras, je mène le théâtre à la danse. Selon moi, tout doit raconter une histoire. Je fais du théâtre muet, c’est du corps en mouvement. Je pourrais raconter un texte que je dis théâtralement juste en dansant. C’est très inspiré de Pina Baush et sa pièce « Café Muller ». Elle a montré qu’il y avait possibilité de raconter la danse, d’être acteur, d’avoir une âme, un regard et des yeux qui font, qu’en plus des mouvements, il y a un tout. Je me rends également disponible pour des expériences nouvelles telles que les tournages de clip.
En parallèle, vous développez une carrière en tant que modèle photo. Que recherchez-vous dans ce domaine ?
Modèle photo, cela m’est un peu tombé dessus. C’est un peu un combat car je ne me suis pas toujours senti très jolie dans ma vie. De part le théâtre, j’ai compris que j’avais un potentiel de corps parait-il, alors autant l’utiliser. Pour moi la photographie, c’est du théâtre en arrêt sur image. J’ai découvert un côté très à l’aise avec l’objectif. Je me suis essayé pour des amis à moi photographes, en faisant du body-painting, du nu artistique. J’aimerais travailler avec des lignes de vêtements. Malgré le fait que je mesure 1m60, j’ai envie de casser la barrière de la femme mannequin d’1m70. J’aimerais que l’on donne sa chance à la femme malgré son corps, sa forme, sa petite taille. Je viens d’intégrer une agence, et j’ai même récemment participé à l’élection Miss Petite de France.
Comment s’est déroulée cette élection ?
Ce n’était pas mon rêve les concours de miss. Mais j’ai rencontré une femme noire créatrice qui va bientôt me faire défiler. J’y suis allé avec mon boubou et une robe faite sur mesure par Lucie Zambo et Fabienne Belotsi. Une manière de montrer qu’en Afrique on sait aussi faire de belles robes. Même si je n’ai pas gagné, j’ai fait beaucoup d’heureux. Beaucoup de gens m’ont dit que ma robe était jolie, ça change des paillettes et strass. Nous n’étions que cinq filles de couleurs dans le concours sur plus de 80. Aucune étaient dans les finalistes. J’ai trouvé ce concours trop français. J’habite à Paris, c’est une ville melting-pot. Je vois souvent des femmes très belles, de toutes couleurs. Ce concours n’était pas assez métissé et à l’image de notre pays. Pour moi ce qui fait la beauté c’est la différence. J’aimerais qu’il y ait davantage de modèles noirs. J’aimerais représenter des marques qui prônent le style africain.
Pourquoi selon vous on ne fait pas confiance aux noirs ?
Il faudrait remonter à beaucoup plus loin dans l’histoire, des siècles en arrière. L’homme de couleur a appris du blanc et le blanc a appris à l’homme de couleur. Et aujourd’hui ça dure encore. Même si vous avez réussi à monter votre entreprise, on vous apprend encore. Idem en politique ou dans l’art. Cela ne vient pas d’une certaine méchanceté. En vérité, personne ne s’est vraiment révolté. On s’est battu pour avoir les mêmes droits. On s’est battu pour être reconnu comme eux et non pas pour être simplement nous-mêmes. On s’est battu pour être comme l’homme blanc. Mais sans cela, on serait peut-être encore esclaves aujourd’hui. Il ne faut pas croire que la bataille est fini. Comme le dit un grand artiste Kerry James : « le savoir est une arme ». Il faut se battre et ne pas accepter d’être écrasés. Il faut agir et arrêter de se plaindre entre nous.
Propos recueillis par Florian Dacheux
Crédit Photo : Florian Dacheux
Découvrez Zem-Zem Bizot dans une performance de danse solo, filmée et réalisée par Phil Smith :
https://www.youtube.com/watch?v=AZZahCpYbdc